Histoire d'Hommes de Thierry Jaegle (extrait)
Bonjour à tous! Je vous souhaite la bienvenue sur le premier extrait de roman à vous être proposé sur ce blog qui ne soit pas de moi. J'aimerais vraiment (sur le long terme) faire des lectures ou proposer des extraits de livres méconnus ou de petites maisons d'édition, pour peut-être donner l'envie à certains d'entre vous d'ouvrir des bouquins plus inhabituels que les meilleures ventes de nos librairies. Pour mes amis blogueurs qui projettent de se lancer dans l'aventure de l'édition, n'hésitez-pas à venir faire des signaux de fumée sur le blog des autres. Nous somme tous là pour ça, après tout. Aujourd'hui, j'aimerais vous proposer deux petites pages d'un Roman auto-publié de Thierry Jaegle, Histoire d'Hommes. Même s'il s'agit d'un texte assez classique, je l'ai trouvé assez intéressant pour vous le présenter ici ce matin. Bonne lecture à tous!
* * *
Préambule du
regret.
D’une
main tremblante et hésitante, l'individu venait de reposer le téléphone.
Prostré derrière la petite table, il regardait le combiné sans vraiment le
voir, trop plongé dans ses sombres pensées. À l'extérieur, la pluie frappait les
carreaux au gré des bourrasques de vent. Les imposants nuages gris, bas pour la
saison, accentuaient l’atmosphère lugubre de la cuisine délabrée dans laquelle
le vieillard se trouvait.
Depuis
quelque temps, il n’arrivait plus à gérer de nombreux regrets, de récents
évènements les ayant tous ravivés. Une angoisse s'était immiscée et le rongeait
au quotidien. Durant toute son existence, de bonnes raisons tentant d'assumer
des actes inavouables s’étaient imposées. Pensant s’être libéré de toute
responsabilité, elles étaient devenues ses vérités. Constamment effritées à
chaque mauvais coup du sort, ses frêles vérités, médiocre paravent à sa
lâcheté, l'avaient abandonné sans ménagement.
Pour
les résignés aux mensonges, c’est une fin amère, solitaire qui se profile. Pour
les plus lucides, c’est le moment d’affronter la réalité, dans l’espoir d’y
trouver le pardon permettant d'en finir. Pour lui, le temps était venu.
Cependant, la vieillesse, la maladie l’ayant rattrapé, peu de temps s'offrait à
lui pour mener ce dernier combat.
Quelques
jours auparavant, l'individu avait déjà réagi en expédiant par la poste un
colis contenant les souvenirs douloureux d’un temps révoqué. Colis préparé avec
soin et dans lequel il avait déposé un petit billet, à défaut d'une véritable
lettre. Aucun terme suffisamment précis ne s'était présenté au bout de la plume
pour exprimer sa peine et l'amour toujours présents en lui. Sa main droite
parvenant à peine à contenir des petits tremblements, le téléphone lui avait
semblé l'unique solution pour témoigner. À plusieurs reprises, le numéro
composé sonnait dans le vide. Si à l’autre bout de la ligne une voix lui
répondait, le vieil homme raccrochait. L'émotion suscitée par le « Allo
! » du correspondant le submergeait. Parfois, au prix d'un ultime effort,
il parvenait à répondre uniquement par une respiration hélas bruyante et
saccadée. Inévitablement, l’interlocuteur raccrochait sans rien dire. Une fois,
plus qu’un simple « allo » avait été prononcé ! Le message avait été
clair. Si cela devait se reproduire, la police serait alertée. De toute
évidence, le vieillard était passé pour un dérangé voire un pervers. L'idée
d'être perçu ainsi lui était insupportable.
Aujourd'hui
encore, son appel avait échoué sur l'automate vocal annonçant que le numéro
n'était plus attribué. Devant ce nouvel échec, il prit la décision de
partir à sa rencontre. Là se trouvait la fin du calvaire, là se trouvait le
pardon !
-1-
Samedi 25 août 21h30 : La route
du retour…
À
bientôt quatre-vingt ans, il était rivé au volant, tendu face à la route
défilant trop vite. Le véhicule n'apportait plus le confort et la sécurité
dispensés quelques années auparavant. La conduite s'en ressentait, mais le
chauffeur ne s'en préoccupait guère. De toute façon, à son âge et avec ses
faibles ressources, impossible d’acquérir un nouveau véhicule, même
d'occasion !
Plusieurs
douleurs articulaires et musculaires s'étaient réveillées durant le trajet.
Trois heures de route sur cette Départementale 19 en étaient la cause. Et la
capitale était encore affichée à plus de quatre-vingt kilomètres ! Partir seul,
en début de soirée, avec la pluie en prime, un tel périple pouvait passer pour
de la folie. Lui savait que non, le temps lui étant compté.
Depuis
une demi-heure, la nuit était
tombée. Des trombes d’eau s'écrasaient sur le bitume de la Départementale
transformée en véritable pataugeoire. Le chauffeur éprouvait de plus en plus de
difficultés à maintenir son attention. Les véhicules le dépassant, soulevaient
des gerbes d’eau compliquant la tâche des essuie-glaces usés. Ces derniers
peinaient à maintenir un semblant de visibilité à travers le pare-brise
constamment arrosé. Le conducteur ne parvenant plus à lire les panneaux de
signalisation, l’agacement commença à le gagner.
-
Bon Dieu, des panneaux plus grands, Messieurs de
l’Équipement ! Grommela-t-il entre ses mâchoires serrées.
En
vain, il passa la main derrière sa nuque en espérant que ce geste pourrait
soulager la douleur lancinante qui s’y était logée. Déçu, il alluma la radio
pour tenter d'oublier ses souffrances et capta la station FM de l’autoroute
toute proche. Quand le chauffeur s'inclina pour chercher une autre station, le
mouvement lui déclencha une raideur musculaire le long de la colonne
vertébrale. Fatalement, son poids le déporta vers le tableau de bord et sa
jambe droite défaillante ne put qu’écraser la pédale d’accélérateur jusqu'au
plancher. Le véhicule prit aussitôt de la vitesse. Le buste affalé sur le
volant, le vieillard ne parvenait plus à contrôler la trajectoire. Lui vint à
l’esprit le mauvais réflexe. Se redressant tant bien que mal, il mit un coup de
volant espérant ainsi reprendre le contrôle. Peine perdue, l’embardée fut
inévitable. La voiture sortit de la route et s’engagea dans un champ longeant
la Départementale 19. Elle fonça en direction du petit bois séparant la route
du champ, sur environ cinq cents mètres. Le vieillard le distingua sans
vraiment en mesurer la menace imminente. Les premières branches dans le
pare-brise le renseignèrent très vite du risque encouru. Toutes ses forces
furent mobilisées pour tenter de se maintenir loin de ce danger. Les bosses,
les trous le chahutaient à chaque rebond comme un pantin. Sa tête heurta à
plusieurs reprises la vitre de la portière et le volant. Ses genoux cognèrent
le dessous du tableau de bord. La séance de torture perdit de son intensité et
s'arrêta progressivement au bout d'une centaine de mètres. Le conducteur
redressa la tête, vit l’obscurité recouvrant les lieux et remarqua que le
vacarme des tôles torturées avait fait place au silence. Relatif silence
entrecoupé par le son des cloches de l’église voisine qui se mirent à
carillonner sous l’effet des bourrasques de vent. Puis ce fut au tour de la
radio. Restée muette durant la sortie de route, elle vint achever
définitivement le semblant de calme. Une douce voix féminine envahit
l’habitacle.
-
Cette journée du vingt-cinq août s’achemine tout
doucement vers sa fin. Il est maintenant 22h00 sur ROAD FM.
Restez en notre compagnie.
Un
court générique retentit avant que la voix surgisse à nouveau dans les hauts
parleurs.
-
À noter un ralentissement sur deux kilomètres au péage
de la Jonchère dû à la pluie. Prenez garde au bitume mouillé ! Maintenant chers
auditeurs on débute cette deuxième heure d’émission avec un tube des années 80.
Le groupe mythique ZZ TOP et le titre qui ne l’est pas moins « Gimme all
your Lovin ». On
se l’écoute maintenant !
Sur
les dernières paroles de l’animatrice, l’accidenté perdit connaissance malgré
la musique hard rock.
* * *
Si cet extrait vous a intrigué, je vous renvoie au blog de Thierry Jaegle, ici.
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