Willen's Craft épisode 9
J'aurais pu poster l'épisode plus tôt mais j'ai eu des contre-temps à répétition. Et ce matin j'ai entendu vers 7h30 l'appel du brouillard… J'ai donc pris mon appareil photo et hop! Tout le monde dehors, que vogue la galère. Je suis bien remonté là, je suis sûr que je vais faire des choses intéressantes aujourd'hui. C'est un bon jour, ça se sent. Pour vous mes petits lecteurs, un nouvel épisode un petit peu long, mais qui a fait réagir ma béta-lectrice en chef (ma mère lol). À vous de me dire ce que vous en pensez. Ah et aussi, mon Allemand est extrêmement approximatif. Libre à vous le me corriger, je vous en serais reconnaissant. Bonne lecture à tous.
* * *
Résumé: Willenscraft est une grande Université à la réputation impeccable. Alors que les choses reprennent leur court après la reprise d'hiver, certains petits détails sont peut-être plus étranges qu'il n'y parait.
* * *
Sergueï
Hogan marchait avec empressement, comme à chaque fois qu'il essayait d'évacuer
la frustration accumulée. La cause en était devenue immuable, la mauvaise
volonté, voire la bêtise, de ses étudiants, en particulier ceux des cours
d'options qui, année après année, semblaient prendre sa salle de classe pour un
café. Il essayait tant bien que mal de maintenir un certain niveau d'excellence
dans la compétence, l'esprit critique et l'attitude des personnes qu'il devait
former. Une position qu'il avait de plus en plus de mal à tenir. Devenait-il
trop vieux et trop intraitable ? Ou bien peut-être la jeunesse n'avait-elle
plus conscience de la réalité du monde?
Tant de choses avaient changé depuis le jour où il avait
pris la décision de se lancer à corps perdu dans ce sacerdoce. Il avait été le
plus âgé de sa promotion. Et de beaucoup. Il était arrivé à l'UW six ans
auparavant, lors de l'ouverture complète des dernières ailes de l'Université.
Jamais il n'aurait cru prendre ce travail tellement au sérieux. Les saisons
s'enfuyaient, lui échappaient et il ne savait toujours pas ce qu'il voulait. Il
ruminait son exaspération en jetant un coup d'oeil sur le prospectus de la
direction qu'il avait retrouvé sur son bureau sans daigner en tenir compte. Il
avait eu peur que son contenu ne lui pourrisse la matinée. Et effectivement, il
avait bien fait de s'abstenir. On les informait que les salles vidéo avaient
changé de responsable sans préciser qui allait hériter de cette lourde charge.
Ça alors c'était de l'information. Visiblement certaines personnes au
secrétariat n'avaient pas plus de cervelle que ses élèves, ce n'était pas peu
dire. Et son humeur irritée ne s'adoucit pas lorsqu'il entraperçut, en
pénétrant dans l'une des succursales de l'administration, une silhouette sombre
rangeant des papiers dans une pochette orange.
« Ah, monsieur Hogan. »
Les yeux noirs sous le voile pailleté l'avaient fixé à la
seconde où il était entré. Clairement, c'était lui qu'elle attendait. Il la
reconnut tout de suite. Mounia Zerari était une jeune femme brillante en cursus
de droit international. Elle dirigeait accessoirement l'assemblée générale des
clubs d'Art du spectacle et chaperonnait le comité Étudiant. Ils s'arrêtèrent
tous deux au milieu du couloir.
« Mademoiselle.
_ Je suis navrée de vous déranger.
_ Pas autant que moi, mademoiselle, pas autant que
moi. »
Il lui répondait dans un français impeccable.
« J'ai ici un formulaire signé par les présidents de
tous les clubs d'Arts demandant à ce qu'on leur laisse l'Amphithéâtre 11 les
mercredi et jeudi de 13h à 14h30 pour le reste du semestre. »
Evidemment, celui qui devait faire cour pendant ces horaires
là dans cette salle, c'était lui. Il prit délicatement la feuille qu'on lui
tendait, la lut rapidement et la rendit à son interlocutrice.
« Navré mademoiselle, mais je suis responsable de tout
ce qui se déroulera dans cette salle, je ne peux raisonnablement pas vous la
laisser si je ne suis pas présent.
_ L'Amphi 11 a une capacité de 150 places et son estrade
fait presque la largeur de la scène de théâtre de l'autre bâtiment. Aucune
salle adéquate ne nous a été donnée pour le milieu de semaine... »
Hogan avait repris sa marche mais la demoiselle continuait
sur ses talons avec un aplomb à toute épreuve.
« Si vous avez des réclamation, c'est au responsable
des attributions qu'il faut vous plaindre, pas à moi.
_ C'est ce que nous avons fait monsieur. Personne ne veut
nous débloquer d'Amphithéâtre. Mais si vous avez lu le formulaire de demande
vous devez savoir qu'une salle de 80 places est libre pendant ces horaires à
l'étage du dessus. Il y a exactement 76 personnes inscrites à votre cour.
_ La raison pour laquelle on ne vous a pas débloqué mon
amphithéâtre n'est pourtant pas très compliquée. Dans l'éventualité où des
étudiants devraient changer d'options en cour de semestre, et cela arrive
fréquemment, chaque cour doit prévoir une réserve de dix places supplémentaires
minimum, c'est le règlement.
_ Vous occupez une salle de 150 places avec 76 étudiants
alors que cette même salle est nécessaire à cinq clubs différents qui
regroupent à eux seuls presque 200 personnes. C'est clairement injuste comme
répartition, vous ne pouvez pas le nier.
_ Ce n'est pas la question de savoir si cela est juste ou
pas, » soupira-t-il. « Vous n'êtes pas au milieu d'un tribunal ici.
Je n'ai pas le droit d'échanger ma salle sans passer par le réseau de
l'administration et c'est tout. Si quelque chose se passe mal dans ces
horaires, c'est à moi qu'on demandera des explications, ce n'est pas à vous. Si
cela se sait que j'ai procédé à l'échange sans rendre de comptes à mes
supérieurs, là aussi, la responsabilité me reviendra.
_ Alors je demanderai le boycott de votre cours jusqu'à ce
que l'on obtienne un Amphithéâtre. »
Les grands yeux de Zerari étaient d'une sincérité
déconcertante. Mais il n'avait pas besoin de ça. Il avait tout à fait
conscience que l'étudiante en face de lui n'aurait aucun scrupule à mettre sa
menace à exécution.
« Vous n'avez pas légalement le droit de le faire,
mademoiselle et vous le savez très bien.
_ Je défends les intérêts de 200 étudiants sans qui, je vous
le rappelle, vous n'auriez pas de salaire.
_ Vous avez tort de croire que je fais cela pour vous être
désagréable. Tout comme vous avez tort de croire que le règlement est quelque
chose que l'on peut ignorer régulièrement. »
Il avait commencé à hausser le ton. Si ces gens, aussi
brillants soient-ils, n'avaient pas la force de se mettre des choses aussi
simples dans le crâne alors pourquoi continuait-il à faire des efforts ? Il
n'en savait rien. C'était comme ça. À l'époque où il avait dû faire face à
cette même discipline, personne n'avait été tendre avec personne. Pourquoi
devait-il en être autrement ? Noblecourt avait raison, tout ici était en train
de changer. Il n'avait pas terminé sa tirade que la porte se rouvrit
délicatement derrière eux.
« Ah te voilà, je te cherchais figure-toi. Tu es passé
au département 1, pas vrai ? Parce que ce matin… »
C'était Nikolaï Sokolov qui s'était planté devant lui et qui
se tenait à présent entre deux eux sans la moindre considération. Zerari saisit
cette opportunité pour s'éclipser avec une détermination machiavélique
placardée sur son visage. Sergueï voulut la retenir mais l'autre lui barra
stratégiquement la route et la laissa filer.
« Il y a eu une erreur sur le formulaire 201
et... »
On entendit un grognement impatient.
« Nikolaï!
_ Sergueï ?
_ Il n'y a pas de formulaire 201, qu'est-ce que tu fabriques
?
_ Ah vraiment ? »
Le regard qu'il lui lança lui signifia qu'il avait assez vu
assez d'idioties pour la journée. Les traits de son comparse reprirent leur
sérénité immuable. Il avait l'air à la fois exaspéré et heureux.
« Laisse-la donc, ça ne changera rien de toute manière.
Je leur donnerai mon Amphi en milieu de journée les mardi et mercredi et je
reprendrai la 16. Fin de l'histoire. »
Comme si c'était une excuse pour se laisser marcher sur les
pieds!
« Tu sais que tu peux avoir des ennuis autant qu'elle!
_ Et après ? Si Noblecourt est au courant, il me fera la
grande tirade comme quoi ce n'est pas bien de dénigrer le travail de
l'administration, que c'est un manque de respect pour mes collègues, bla bla
bla et puis ça s'arrêtera là. Honnêtement, qui pourrait bien nous sanctionner ?
Emma ? »
Sergueï lâcha un soupir.
« Ganz im ernst... »
Il fit quelques pas vers la porte avant d'entendre la voix
de Nikolaï qui tenta de le retenir.
« Qu'est-ce que tu comptes faire ? La poursuivre
jusqu'à ce soir ? C'est du harcèlement!
_ Très drôle Nikolaï. »
Aïdée était
venue vérifier son casier, au cas où certains documents seraient venus s'y
glisser en retard. En tout cas c'était l'excuse. Elle supportait de moins en
moins cette série de cases à cocher qui attendait patiemment sur son bureau. Il
y avait également un dossier d'informations personnelles à remplir. Les
modalités qu'il fallait confirmer à chaque semestres, en particulier pour les
consultants. Elle aurait donné n'importe quoi pour avoir quelqu'un qui s'en
chargerait à sa place. Et puis, il y avait cette présence qui se penchait
sur son épaule, comme pour se moquer d'elle à chaque fois qu'elle ouvrait un
nouveau dossier. Elle décocha un sourire idiot. Pourquoi trouvait-elle cela
rassurant ? Ce n'était pas normal. Cette rentrée l'irritait plus qu'à
l'accoutumée. Elle se demandait si elle ne devait pas aller se chercher un
café, le troisième de la journée, lorsqu'elle entendit des pas rapides fendre
les airs. Elle tourna la tête.
Depuis le fond du large corridor de verre et
d'acier encastré dans le bâtiment en pierre, une ombre s'avançait à bonne
allure. Elle l'avait rencontrée une paire de fois auparavant, durant sa période
d'essai. C'était une célébrité parmi les étudiants. Et une femme magnifique au
visage ravageur, toujours élégante, pantalon blanc, cravate noire, chaussures
de cuir, une veste de tailleur où était accrochée une montre à gousset, sur sa
tête une sorte de diadème en perle blanches trônait sur un foulard pailleté.
« Mademoiselle Hoffmann.
_ Mounia. »
Cette dernière allait continuer sur sa lancée lorsqu'elle
s'arrêta et revînt vers la jeune femme.
« Pardonnez ma curiosité mais, ne deviez-vous pas
rester juste pour deux mois ?
_ J'ai été embauchée. À plein temps. »
Elle afficha un large sourire.
« Félicitations.
_ Ah, merci. »
La jeune consultante fut sortie de ses pensées par un
brusque changement d'attitude de Mounia. Elle lui fit un signe de la main et
disparut rapidement. Aïdée se retourna pour apercevoir une nouvelle silhouette
au bout du couloir. Un homme en costume, large d'épaules, qui dominait la scène
par sa carrure. Hogan ralentit son pas avant de se figer au milieu du passage.
Malgré le contre jour, elle avait la désagréable impression qu'il la fixait. Sa
nervosité la regagna et la température de son corps descendit subitement.
Une
goutte de sueur froide était en train de glisser le long de son cou. La
présence de ce type était suffisante pour la mettre dans des états
inexplicables. Et le fait qu'Aïdée était au courant qu'elle lui était tout
aussi antipathique, ne faisait rien pour améliorer ses nerfs. Elle se disait
parfois qu'il le faisait exprès juste pour tromper son ennui. Ses yeux rouges
s'étaient détournés bien vite pour se poser sur sa propre main. La consultante
referma son casier, replaça ses lunettes rectangulaires au dessus de ses
narines, avant de lui tourner le dos. Il était de mauvaise humeur, elle le
sentait. Ses tempes s'étaient crispées en la voyant. Il était comme un
bulldozer, prêt à emporter tout ce qui lui opposerait la moindre résistance. Et
Aïdée avait déjà essuyé la colère de cette machine là. Mieux valait ne pas
tenter le diable. Poursuivant sa route, elle se mit à regretter que Sokolov ne
soit pas dans les parages. Lui et Hogan avaient l'air de bien s'entendre et sa
présence était suffisante, en général, pour dissiper sa gêne. Après tout,
Nikolaï était le seul que ce bloc de glace écoutait, plus ou moins. Elle
sortit, fit quelques pas en rond dans la fraîcheur de la cour de derrière,
couverte de gravier et de quelques carrés de pelouse. Elle reprenait lentement
son souffle tout en essuyant ses paumes moites sur le bas de son pantalon. Mais
trente secondes ne s'étaient pas écoulées qu'une épaisse silhouette se
superposa à la porte du bâtiment. Il s'avança vers elle, inexpressif.
« Je peux vous demander quelque chose ? » Il
n'attendit même pas la réponse, « Pourquoi êtes-vous comme ça ?
_ Comme quoi ? » Lança-t-elle, en ravalant son
angoisse.
« Comme ça. » Insista Hogan, replongeant la
jeune femme dans un silence semi-contemplatif. « Ce que vous faites, là.
Vous m'ignorez. Je n'ai pas eu le temps de vous saluer que vous m'aviez déjà
tourné le dos et pourtant je sais que vous m'avez vu. La politesse ne coûte
rien à personne. »
C'était une blague ? Est-ce qu'il ne s'était pas rendu
compte du malaise que son attitude déclenchait ? Ou bien se payait-il sa
tête ? Sans s'en rendre compte, la consultante avait lâché un petit rire
nerveux à la barbe du professeur. Il la regarda, hautain, puis, croyant certainement
qu'elle se moquait de lui, fit demi tour et quitta les lieux définitivement.
Aïdée ne savait pas si elle devait en être désolée ou heureuse. Sa gorge lui
faisait mal. Elle ne comprenait pas pourquoi. Qu'est-ce qu'il venait de se
passer ? Elle avait parfois l'impression qu'il avait pleinement conscience
du pouvoir qu'il avait sur les autres, mais à certaines occasions, il la
faisait douter. Elle se retourna et s'en alla se balader dans les jardins, pour
oublier. Cela lui prit approximativement trois tours du par-terre de fleurs et
six longueurs entre l'arche qui menait au bâtiment principal et la remise.
Puis, elle décida de s'en retourner tranquillement vers son bureau où se
trouvait encore ce fichu dossier. Et cette fichue présence... Si
seulement c'en était déjà fini. Elle n'avait qu'une envie, c'était de voir ces
piles de paperasse disparaître pour enfin passer aux choses intéressantes.
Elle n'avait pas fait des pieds et des mains pour être
acceptée à Willenscraft et juste cocher des cases. On envoyait régulièrement
dans l'enceinte de cet établissement les œuvres d'arts les plus controversés du
moment. Certains vendraient la moitié de leurs organes pour être à sa place. Et
malgré cela, elle n'avait rien fait de bien excitant depuis la reprise.
Peu importait.
Le reste de l'après-midi passa dans une ambiance moribonde
et banale à en pleurer. Elle ne retourna dans sa chambre à l'étage que tard
dans la nuit. Elle faisait partie de ces quelques privilégiés qui vivaient à
Willenscraft, dans les combles du bâtiment le plus récent. La plupart des
professeurs ne travaillaient que trois jours par semaine et se contentaient de
passer la porte tôt le matin, à Paris ou à Londres. Épuisée, elle lança ses
clés sur la console vide et se tourna vers la fenêtre, avant de l'ouvrir.
Derrière elle, un mobilier simple, carré et sans fioritures. Aucune photo ne
trônait sur sa commode ou sur sa table de chevet. Aucune affiche sur les murs,
aucun effet personnel au delà de ses vêtements et d'une paire de vieilles
lampes. Rien qui aurait pu indiquer que cette jeune femme avait eu une vie
ailleurs, avant d'être recrutée. Ses yeux s'égarèrent dans le ciel étoilé. Elle
en étudia les formes, les lumières, les dessins. De cette étendue, aucune
constellation ne lui était familière. C'était peut-être cela le plus beau dans
son travail. Même les cieux n'avaient pas à lui rappeler d'où elle venait et
aucun scientifique, aucun astrophysicien n'avait pu en résoudre le mystère.
Était-elle dans un autre endroit de l'Univers ? Ou avait-elle changé de réalité
du tout au tout ? Nul ne le savait vraiment. Rien ici ne lui était
familier, pas même l'air qu'elle y respirait.
Willenscraft, ce n'était pas la Terre.
Willenscraft était un monde artificiel.
C'était un méta-monde et rien, jamais, ne la forcerait plus
à retrouver la tyrannie des étoiles de son enfance.
* * *
Comme d'habitude, n'hésitez pas à commenter où à m'envoyer vos réactions par mp. Cela me permet de réorienter l'écriture ou l'histoire si besoin. Aussi maintenant que l'on commence à voir plusieurs des personnages principaux, lequel est votre préféré pour l'instant ?
Au prochain épisode, nous reviendrons sur Aïdée...
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